Résistance polonaise en Saône-et-Loire

Résistance polonaise en Saône-et-Loire

5 sept.1944 à Marmagne - La mort de "Pas-de-Calais"


 

Fin août 1944 : le département est en voie de libération ; les troupes allemandes en retraite, venant du quart Sud-Ouest de la France, échappent à marches forcées aux mâchoires d’une tenaille qui se referme inexorablement : du Sud et parallèlement à la vallée de la Saône, montent des éléments de la 1ère Armée française débarquée en Provence, alors que, du Nord, avancent les troupes américaines débarquées en Normandie. Pour les Allemands, les voies de fuite convergent peu à peu vers Autun, qui constituera quelques jours plus tard la dernière issue. Autun passé, quelques routes permettent de poursuivre vers l'Est. Tant que Montceau et le Creusot ne sont pas libérés (ce sera chose faite le 6 septembre), une partie de ces troupes, aux équipements souvent hétéroclites, passe par Marmagne. Tout le long du chemin, elles sont harcelées par des groupes de maquisards ; les soldats, épuisés, sont en permanence sur le qui-vive et prêts à tirer sur tout ce qui pourrait entraver leur fuite.

Or, le maquis FTP Valmy occupe un immense territoire de cette partie occidentale de la Saône-et-Loire, que traversent ou longent plusieurs de ces voies de retraite des troupes allemandes. Il s’efforce d’empêcher autant qu’il le peut cette fuite ; militairement l’objectif est clair : désorganiser un peu plus la Wehrmacht et la priver de ces troupes rescapées qui seraient à même de continuer la guerre, une fois regroupées sur de nouvelles lignes. S’ajoute un puissant facteur psychologique pour les nombreux volontaires qui ont rejoint le maquis, la majorité au fil de ce beau mois d’août, celui de pouvoir enfin lutter à armes égales contre cette armée détestée et de lui faire payer les souffrances de quatre longues années d’occupation.

 

Le bataillon polonais (bataillon Mickiewicz), cantonné dans les fermes proches du hameau d’Aigrefeuille à Charmoy, a été chargé de dresser des barrages sur les routes entourant les versants Sud du massif d’Uchon. Ainsi la 2ème compagnie, commandée par le lieutenant Auguste, de son vrai nom Wincenty Piniarski, mineur du quartier des Gautherets, a mis en place une embuscade permanente, le long de la Nationale 80, à la sortie Sud du village de Marmagne, voie principale entre Autun et le Creusot ou Montceau, et de là vers la vallée de la Saône.

 

La Demi-Lieue, emplacement de l'embuscade permanente
des FTP polonais, le long de la N.80

 

Une force d’une vingtaine d’hommes, soit l’effectif de deux groupes, commandée par le sous-lieutenant Marian Matczak, mineur de 40 ans, issu lui aussi du quartier des Gautherets à St-Vallier, s’est installée dans la ferme de la Demi-Lieue qui se trouve à mi chemin environ des villages de Marmagne et de Montcenis, le long même de la N.80. Ils logent dans un bâtiment annexe, en surplomb de la route qu’ils sont chargés de surveiller. Le long de la haie, ils ont creusé des trous individuels et sont ainsi en embuscade permanente. Gare au convoi qui passera par là ! Ils ont amené avec eux tout leur équipement et du ravitaillement ; ils s’appuient aussi sur ce que peut leur procurer le fermier, Pierre Roullot, 37 ans. Remarquons que si le positionnement est idéal pour contrôler la N.80, il ne permet pas de barrer la D.61 qui mène aussi au Creusot, directement depuis le centre de Marmagne.

 

Le 5 septembre, en milieu d'après-midi, le détachement polonais est informé qu’un camion allemand est arrêté à Marmagne. Un groupe de maquisards y est envoyé et réussit à s'emparer du véhicule, une ambulance, et à faire deux prisonniers, qu'ils ramènent aussitôt à leur campement de Vernizy.

  

 

 

Peu de temps après, nouvelle alerte, pour le même motif : un deuxième véhicule allemand est signalé, immobilisé, dans le bourg de Marmagne. Aussitôt un petit groupe quitte la Demi-Lieue, dans l'idée de s'emparer encore du véhicule.

Il s'agit d'une ambulance militaire, marquée de la croix rouge. Elle est arrêtée au bord de la route, entre le passage à niveau et le restaurant du "Vieux Jambon", tenu par le couple Bouillot. Les deux occupants ont ouvert le capot et tentent de faire redémarrer le moteur… En arrivant, les Polonais se rendent compte qu'ils n'auront aucun mal à capturer les deux hommes et leur camion. L'un d'eux propose même de s'approcher sans bruit et de les faire prisonniers sans avoir à tirer un coup
de feu. Il s'agit d'Edmond Delewski, né à Thivencelle (département du Nord), le 19 septembre 1924 -  il s'apprête à fêter ses vingt ans ! Il est venu se réfugier en Saône-et-Loire, dans la région d'Epinac-les-Mines, probablement car déjà résistant et recherché dans sa région. Il travaillait dans une ferme quand, le 25 juillet 1944, il rejoignit un groupe de Polonais, commandés par le Montcellien Julien Nowak, qui réalisaient une tournée de réquisition dans ce secteur, pour le compte du maquis Mickiewicz. Arrivé au maquis, ses nouveaux camarades lui donnent immédiatement le surnom de  "Pas-de-Calais".

 

 

 

 

Les choses débutent comme prévu, observées par Mme Bouillot, à travers l'entrebâillement des volets, au 1er étage de son restaurant. Brutalement cependant tout dérape : des coups de feu partent depuis le groupe des maquisards polonais restés en arrière ; les deux soldats allemands  sont atteints, mais aussi Delewski, qui tombe, tué sur le coup…

Que s'est-il passé ? Nervosité de jeunes gars non aguerris ? ou bien panique en voyant arriver au loin d'autres véhicules allemands, en provenance d'Autun ? Dans l'affolement qui suit, des maquisards récupèrent un drap chez les Bouillot, en enveloppent le corps de "Pas-de-Calais" et partent avec lui par un chemin qui monte derrière les maisons, en direction des baraques de la Troche, où le corps sera déposé.

Les deux Allemands, grièvement blessés et hurlant de douleur, sont secourus par M. Gagnard, ancien infirmier militaire durant la campagne de 1940. Il les rentre dans son appartement, au rez-de-chaussée de l'hôtel-restaurant, et leur donne les premiers soins, en allongeant un dans son lit et l'autre sur la table de la cuisine.

Mais à l'extérieur, les évènements se précipitent : le convoi allemand pénètre maintenant dans le village ; il est accueilli par les tirs de maquisards restés là, et bientôt par ceux de leurs copains qui descendent en hâte de l'autre côté du village, en provenance de leur cantonnement de la Demi-Lieue.

Les soldats les ont rapidement tous dispersés par des tirs bien ajustés d'armes automatiques. Une rafale couche à terre le chef du groupe, Marian Matczak, qui accourait à la rescousse à la tête de ses hommes ; il tombe au lieu-dit le Bois du Ruault, dans la grande ligne droite qui descend vers le village.

Les jeunes maquisards désemparés, désormais sans chef et sans expérience du combat, s’enfuient, la plupart en remontant le coteau par le chemin derrière les maisons, en direction de leur base d’Aigrefeuille (à 8 km à l'Ouest de Marmagne), poursuivis par des Allemands.

Les soldats allemands réagissent en effet de deux façons : d’abord ils assurent la sécurité sur leurs arrières, en prenant en otages tous les hommes de Marmagne qui leur tombent sous la main et qu’ils rassemblent, d'abord les mains levés le long de la route, puis dans la cour d’un artisan tourneur, M. Laplante. C'est dans cette phase qu'est abattu un notaire du Creusot, maître Pitavy, qui habitait sa résidence secondaire de Marmagne depuis le bombardement de la cité industrielle, le 21 juin 1943. Il eut le tort de descendre, sans doute par curiosité, vers la route nationale, vêtu d'un short et d'une chemise rouge… On le retrouva, le visage déchiqueté par une rafale.

La clémence dont bénéficieront les hommes pris en otages, qui seront finalement relâchés, doit beaucoup au secours porté aux deux soldats blessés par M. Gagnard … C'est du moins ce que déclara un militaire qui parlait un peu Français.

D’autres soldats poursuivent les fuyards sur la pente qui surplombe la Nationale 80. Ils arrivent ainsi à la ferme du Bois-des-Vignes, exploitée par madame Veuve Nectoux.

Par un malencontreux hasard c’est jour de battage, et de nombreuses personnes se trouvent à la ferme pour participer aux travaux. Débouchant sur cette assemblée, probablement bruyante car il est alors près de 21 heures et l’on doit être au moment du repas, les Allemands tirent sans sommation, tuant sur place Georges Troisoeufs, 60 ans, beau-frère de la fermière et Emile Martinon, son domestique, que les gens du village appelaient "Fourchambault" car il avait travaillé dans cette commune de la Nièvre à la  fabrication de poteaux électrique en béton armé. Un ami, Pierre Blondeau, âgé de 75 ans, est abattu alors qu'il tentait de redescendre le chemin. Plusieurs femmes venues aider Mme Nectoux sont blessées, ainsi que Marcel Largy, mutilé de la Grande Guerre (il avait une jambe de bois). C'est aux environs de cette ferme que doivent mourir également deux autres maquisards, le jeune Irek Nawrocki, du quartier du Magny, âgé de 17 ans et François Sen, 22 ans, Yougoslave de la Tuilerie St-Pierre. On n'a retrouvé aucun détail sur cet épisode, ni sur le lieu où furent déposés les corps ; on sait seulement que leurs camarades les ramenèrent à Montceau, le 25 septembre, pour y être enterrés par les familles. On crut parfois qu'ils avaient été tués lors de la bataille d'Autun, mais leur décès lors de cet accrochage de Marmagne est mentionné dans les documents polonais et attesté par la mairie de Marmagne ainsi que par l'état-civil de Montceau.

 

 

3 de Marmagne.jpg

 François Sen (SHD   /   Irek Nawrocki (SHD)    /    Edmond Delewski

                                                                                                         (photo reçue de la famille)

 

Les Allemands ne s’aventurent guère plus loin que la ferme, la nuit recélant pour eux tous les dangers dans cette campagne où se trouvent tant de ceux qu’ils nomment les terroristes.

Les Polonais rescapés foncent dans la nuit ; ils retrouvent des éléments de la 1ère compagnie, celle du lieutenant Jules (Julien Orlowski, mineur de 24 ans) qui a été envoyée en renfort et est arrivée après le combat. Vers 2 heures du matin, ils arrivent enfin de l’autre côté de la colline, près du hameau des Sautots, à la ferme de la Crôte (commune de St-Symphorien-de Marmagne), tenue par Claude Duverne et où cantonnent des FTP français du groupe Simon. Traumatisés par le combat peu glorieux qu'ils viennent de vivre et par la perte de quatre camarades, affectés par les larmes de désespoir de celui qui se sait responsable de la mort de "Pas-de-Calais", ils prendront un rapide repas, avant de regagner Aigrefeuille. Le lendemain matin, la ferme sera la cible de tirs de soldats allemands envoyés en patrouille depuis Marmagne et arrivés jusqu’au sommet de la colline : le groupe Simon avait eu la malencontreuse idée de hisser un drapeau tricolore sur la cheminée, croyant sans doute la victoire déjà acquise !

On est en effet à la veille de la libération des cités industrielles d’où viennent la plupart des maquisards, le Creusot, Montchanin, Montceau, mais les Polonais du bataillon Mickiewicz, tout comme leurs camarades du groupe Simon et de l'ensemble du régiment Valmy, ne participeront pas aux premières fêtes de la victoire ; ce qui les attend encore, c’est la participation à la bataille d’Autun, lourde d’un autre drame qui sera raconté ailleurs.

 

 (cliquer pour agrandir)              

Le monument aux morts de Marmagne :

honneur à Delewski, oubli de Matczak, Sen et Nawrocki...

 

 

Sources : Témoignages de Mmes Desbrosses (née Bouillot) et Brié (née Gagnard) de Marmagne, de Mme Delewski (belle-soeur d'Edmond D.), de Messieurs Roullot (la Demie-Lieue) et Duverne (la Crôte)  - Rapport du bataillon Mickiewicz - SHD (BAVCC de Caen et archives de la Gendarmerie).

 

 



19/10/2011
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