Résistance polonaise en Saône-et-Loire

Résistance polonaise en Saône-et-Loire

Anna SKUPIEN et Antoni GRABOWSKI, soldats de l'Internationale

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 La noyée de Blanzy

Après la figure de Stanislaw DZIUBEK, résistant polonais de l'Ain venu mourir mystérieusement dans la région montcellienne à la veille de la Libération - voir ici -, nous vous présentons maintenant celle d'une résistante polonaise du département du Nord, qui allait trouver une mort plus absurde encore en Saône-et-Loire quelques semaines plus tard, la voiture qui la conduisait étant tombée dans le canal du Centre. Là aussi l'histoire s'avéra bien difficile à reconstruire, non pas qu'il y eut cette fois tabou particulier, mais simplement parce que la mémoire est aujourd'hui effacée de ce que fut la résistance MOI dans le bassin Montcellien.

Je fus d'abord intrigué par un entrefilet paru dans l'édition du 16 octobre 1944 de l'Etincelle, l'organe du parti communiste de Saône-et-Loire. Sous le titre Une camarade MOI disparaît, on y annonçait le décès par accident de voiture (chute dans le canal) de Mme Jourdan, déléguée par le comité central du Mouvement ouvrier international, officier des forces françaises de partisans, digne compagne de son mari fusillé par les Boches en Pologne, où il organisait la résistance

L'étrangeté de la rédaction sautait aux yeux : un nom français, une confusion des sigles FFI et FTP, une évocation de la MOI sous une appellation non conventionnelle (la "Main d'œuvre immigrée" devenait le "Mouvement ouvrier international", plus conforme au fond à son rôle de levier de l'appareil politique soviétique), et puis l'évocation de ce mari mort étrangement en Pologne… On devinait qu'un informateur bien renseigné avait soulevé un coin du voile à un rédacteur français de l'Etincelle, peu au fait du dessous des structures communistes à l'œuvre en France.

C'est dans une correspondance privée à Varsovie que je retrouvai l'évocation de cet accident et le lieu du drame : Blanzy. L'état-civil de la commune allait révéler les détails : L'accident était survenu à Ocle, le 19 septembre 1944 (13 jours après la Libération), à dix-sept heures, et avait fait deux victimes :

1/ d'abord la passagère Anna SKUPIEN, couturière domiciliée à Paris, née à Sosnowiec en Pologne, le 13 mars 1914, veuve d'Antoine Grabowski ; on apprenait que sa mère vivait alors encore dans le département du Nord.

2/ Le chauffeur, Henri REBILLARD, né à Saint-Etienne-en-Bresse le 30 mars 1907, receveur des PTT à Crécy-sur-Somme (S&L). En marge du registre figurait en gras la mention Mort pour la France. Il fut dès lors aisé de retrouver son dossier au Service Historique de la Défense, au BAVCC de Caen ; la lecture de l'ouvrage collectif publié par la section ANACR de Bourbon-Lancy – voir les sources en bas de page – allait apporter des précisons sur sa biographie… Militant communiste à Crécy-sur-Somme, dans l'extrême Ouest de la S&L, il allait y côtoyer l'instituteur Jean Damichel, qui sera arrêté puis fusillé comme otage au Mont-Valérien, le 15 décembre 1941 ; Henri Rebillard allait être à l'origine de la résistance FTPF dans la région de Bourbon-Lancy puis monter à l'état-major de l'inter-région 28 (Bourgogne - Dijon), sous le pseudo de "Commandant Luc". Le dossier précise que c'est au cour d'une mission de Paris à Montceau-les-Mines qu'il perdit la vie.

 

REBILLARD Henri - avril 2012 Crécy - Copieb.jpg (Ph. ANACR Bourbon-L)

 

Quant à Anna Skupien, il n'y avait pas de mention "morte pour la France" ; c'est le contact établi avec sa fille qui me permit de retracer son histoire et celle de son mari, Antoni Grabowski…

 

La vie d'Anna Skupien et d'Antoni Grabowski

Anna Skupien est née le 13 mars 1914 à Sosnowiec, en Pologne, de Wincenty et de Olga Garnietowa, elle-même née à Saint-Pétersbourg en 1887. En septembre 1922, la famille émigre vers la France, où le père obtient d'abord un contrat de travail aux mines d'Albi. L'année suivante, en octobre, la famille quitte le Tarn et vient s'établir dans le département du Nord, à Escaudain. La petite Anna s'intègre rapidement à la société française ; elle obtient son certificat d'études à Denain en 1928 puis un diplôme de coupe dans une école professionnelle de couture à Somain, en 1930. Elle travaille alors comme couturière à Escaudain, où elle épouse un jeune mineur polonais, Antoni Grabowski, le 21 novembre 1931.

Antoni Grabowski, lui, est né à Niwka, quartier de la commune de Sosnowiec, le 17 janvier 1909, dans une famille de mineurs ; à l'âge de 19 ans, il part pour la France avec une de ses tantes et s'installe lui-aussi à Escaudain. Mineur de fond, il travaille successivement à Anzin et Aniche.

Après le mariage, le couple reste à Escaudain où Antoni va adhérer au PCF et y gagner des responsabilités. A la fin de l'année 1936, le parti l'appelle à Paris – il quitte donc son métier de mineur – afin de le préparer pour partir en Espagne, en tant que cadre des brigades internationales.

A Paris, le couple vit quelques mois au 33, rue de Lappe, avec la petite Olga qui leur est née en 1933. Anna trouve assez facilement du travail à domicile, pour le compte de grands couturiers. Mais en mars 1937, Antoni part pour l'Espagne où il devient commissaire politique au niveau de la compagnie, au sein de la brigade polonaise Dombrowski ; il a le grade de lieutenant.

Courant 1938, il est blessé aux jambes ; d'abord hospitalisé en Espagne, il est finalement rapatrié en France. Il reste à Paris, où il travaille au comité Espagne du PCF. Il s'y occupe bientôt de l'appui aux brigadistes détenus par les autorités françaises ; lui-même est arrêté en juillet 1939 et envoyé au camp d'internement de Gurs (Pyrénées Atlantiques).

 

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- Antoni (à droite), convalescence en Espagne -

 

On ne connaît pas avec exactitude ce qui se passe dans la période suivante ; on sait seulement qu'il va s'évader du camp de Gurs avec l'appui de l'appareil communiste régional, puis regagner la région parisienne, où il restera jusqu'à 1942, avec sa femme et sa fille.

Courant 1942, ils repartent pour le Nord et sont hébergés chez les parents d'Anna, qui résident alors à Wandignies-Hamage.

 

Un épisode surprenant de l'histoire du communisme en Pologne

Pour le comprendre, il faut avoir à l'esprit qu'à la veille de la guerre, l'Internationale communiste avait démantelé le parti communiste polonais (KPP) car insuffisamment contrôlé par elle, en particulier en assassinant un grand nombre de ses cadres. C'est au lendemain de la rupture du pacte germano-soviétique marqué par l'attaque de l'URSS par l'Allemagne, le 22 juin 1941, que Staline permit la création d'un nouveau parti communiste polonais (le PPR, fondé le 5 janvier 1942) avec pour mission principale de participer à la résistance à l'occupation allemande et de représenter la carte soviétique sur l'échiquier politique polonais . Une organisation armée fut mise sur pied simultanément (GL = Gwardia Ludowa = la Garde populaire, fondée en mars 1942). Le PPR et la GL manquaient cruellement de cadres et il fut décidé d'en faire venir de France, où se trouvaient nombre d'anciens responsables de la brigade Dombrowski, échappés d'Espagne (1). C'est ainsi que plusieurs dizaines de militants chevronnés de la résistance communiste polonaise en France, organisés dans la MOI, furent transférés clandestinement vers la Pologne durant l'année 1942 et début 1943. Ils allaient y servir en tant que cadres du PPR et commandants ou instructeurs au sein de la Garde populaire.

Antoni Grabowski fut l'un d'eux, ce qui témoigne du niveau qu'il avait atteint dans l'appareil.

Transféré en Pologne à la mi-1942, en traversant l'Allemagne en guerre avec des papiers de travailleur volontaire, il devient rapidement commandant GL de la région de Warszawa-Lewa Podmiejska, puis de celle de Radom – Kielce (décembre 1942), enfin d'une subdivision GL de Cracovie (février 1943). Fin avril 1943, il est appelé à Varsovie où il prend le commandement du groupe spécial de l’Etat major du GL. Il est arrêté vers le 10 juillet 1943 par la Gestapo, et fusillé quelques semaines plus tard. Durant ses combats, Antoni Grabowski était connu sous le pseudo de "Czarny Antek" = "Antoine, le noir".

 

Anna, agent de liaison

En France, son épouse prend alors la relève de son combat (2) et devient agent de liaison pour le compte de la direction centrale de la section polonaise de la MOI. Elle assure ainsi des missions périlleuses entre Paris et le Nord de la France et la Saône-et-Loire, le plus souvent en direction des organisations locales de la MOI polonaise mais aussi parfois des premiers maquis d'évadés soviétiques : transport de documents, d'argent, de matériels divers, d'armement.  A Paris, son domicile est mis à la disposition de l'organisation ; arrêtée un temps avec sa fille par la police française, elle est finalement libérée faute de preuves et grâce aux réactions convaincantes de l'enfant.

 

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- La fausse carte d'identité d'Anna Skupien -

 

Elle utilise divers pseudonymes, Wanda, Sonia, Irena… et porte un jeu de papiers au nom d'Angèle Jourdan. C'est sous cette identité à l'occasion d'une de ces missions, alors que la Bourgogne est désormais libérée, qu'elle trouve une mort absurde aux côtés d'Henri Rebillard.

 

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- Le lieu de l'accident, la veille du corps -

 

Anna Grabowska connut des funérailles grandioses, le vendredi 22 septembre 1944 ; un détachement armé du bataillon Mickiewicz veilla le corps et escorta le corbillard, qui traversa la ville jusqu'au cimetière du Bois-Roulot (3) où furent prononcés des discours par des représentants de la municipalité de Montceau et du parti communiste.

 

IMG_1161c.jpg- L'enterrement, rue de la République à Montceau (cliquer pour agrandir) -

 

Le temps passa, la plupart des responsables FTP-MOI repartirent en Pologne et l'histoire de la Résistance dans le bassin minier s'écrivit en oubliant Anna Grabowska…

  

 

Lire aussi -  Le lecteur intéressé peut poursuivre avec l'article de la revue polonaise Za Wolnosc i Lud , publié en 1975, où l'auteur Konstanty Skupien, frère d'Anna, retrace en détail la vie d'Antoni Grabowski, son beau-frère, qu'il a bien connu comme compagnon de travail à la mine puis au sein de la brigade Dombrowski en Espagne… L'article est plein d'anecdotes intéressantes ; il représente bien l'état d'esprit des ouvriers polonais engagés dans la geste communiste.  Article en ligne sur ce site - cliquer ici - . Il est classé dans la rubrique PRESSE, tracts, affiches (colonne de gauche de cette page).

LIRE CE TEMOIGNAGE

 

 

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1)    Voir les biographies de Maslankiewicz et Jelen, autres cadres brigadistes en rapport avec la résistance polonaise en Saône-et-Loire.

(2)    On fera un parallèle avec l'histoire d'une autre agent de liaison de la MOI, venue régulièrement en S&L, Madeleine Delers-Oboda "Catherine". Voir page dédiée aux agents de liaison (lien ici) et le site internet de sa petite fille Nadianne (cliquer ici).

(3)    La tombe d'Anna Skupien est encore visible au Bois-Roulot, passez à l'occasion y déposer une fleur…

 

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- Aujourd'hui, cimetière du Bois-Roulot, carré M, tombe 119 -

(Sur la plaque : A notre mère, Anna Wanda Grabowska 1914-1944)

 

  

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Sources              

Témoignage d'Olga D-Grabowska (grand merci à elle !)

Archives :  AD S&L, SHD, AN Varsovie

Internet : pages Wikipedia (en polonais) sur Antoni Grabowski et Gwardia Ludowa

Ouvrages :  - Collectif, 1940-1944 dans les cantons de Bourbon-Lancy, Chevagnes, Dompierre-sur-Bresse, Issy-L'Evêque, éd. ANACR 2011.

                - Jan Skowron, Chlopcy z Nordu i Pas-de-Calais, Wydawnictwo Ministerstwa Obrony Narodowej, novembre 1981.

 Photos Olga D-G et ANACR-Bourbon-Lancy



18/08/2013
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