Résistance polonaise en Saône-et-Loire

Résistance polonaise en Saône-et-Loire

Bataille d'Autun - le récit de Simon Bakowski...

 Contexte général de la bataille d'Autun : cliquer ici 

 

 

 

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Simon Bakowski était un jeune Polonais du quartier du Bois-du-Verne à Montceau-les-Mines, qui avait rejoint le maquis FTP-MOI de Bargiel au lendemain du Débarquement.

Le récit qu'il a laissé de sa participation à la bataille d'Autun est extrêmement intéressant car il en montre les trois premières phases : l'attaque initiale du régiment Valmy et la retraite, l'arrivée des blindés et la contre-attaque dans l'aprés-midi, l'incompréhensible retrait de l'armée lorsque la nuit tombe, laissant quelques éléments FTP en situation extrêmement exposée, au cœur de cette ville qui leur est inconnue.

Simon Bakowski est de ceux-là, au sein d'un groupe de quelques combattants de la 3ème compagnie du bataillon Mickiewicz, qui accompagne le lieutenant Kocik. Il nous donne ainsi un  témoignage inédit sur la mort de Kocik et de deux de ses hommes (les seuls tués du bataillon polonais lors de la bataille d'Autun, victimes d'un tir de mortier). Lui-même sera gravement blessé à ce moment-là avec ses compagnons restants…

 

Simon Bakowski passa le reste de sa vie à nourrir la mémoire de ces combats ; il était le porte –drapeau de la section montcellienne des CVR (Combattants Volontaires de la Résistance). Il est mort en 2004, à la veille du 60ème anniversaire de la bataille d'Autun…

 

Ce récit nous a été confié par son ami Albin Rychlik.

 

 

L'approche

"… Mercredi 6 septembre 1944 – Au PC, BARGIEL Mieczyslaw "Roger" et "Pietro" (DESSOLIN) sont en grande discussion ; ils ordonnent le rassemblement des hommes, distribution d'un complément de munitions, faire le paquetage de nos effets personnels, le plus léger possible, départ à 10 heures d'Aigrefeuille, puis la Tagnière, ensuite par les chemins de terre, le long des haies, direction : le château de Montjeu où nous arrivons vers 18h00, installation des sentinelles, repas tiré du sac à dos, les armes à proximité de la main – la nuit venue, être vigilants à tout bruit, pas de lumière, le noir complet…

 

Jeudi 7 septembre, réveil à 7 heures dans le noir, déjeuner quelques morceaux de pain avec margarine et de la place autour des responsables où les groupes sont désignés, pas plus de 8 hommes. Le lieutenant KOCIK, MACIEJEWSKI, SZWIEC, JAKINIEC, WARSZASKA et moi-même ainsi que JANEK et KROL comme pourvoyeurs de munitions…

 

L'attaque

Vendredi 8 septembre – Réveil à 4 heures du matin, déjeuner à la va-vite, le temps est pas très réjouissant, froid et humide. A 6 heures départ sans bruit et en avant, direction la cascade de Brisecou, Couhard, où nous arrivons à 8 heures, descente vers le faubourg St-Blaise ; c'est la rencontre avec les hommes du 5ème bataillon ("Marc") dans le bas du cimetière et premier accrochage avec l'ennemi qui est posté sur la route et qui réagit vigoureusement, replis derrière le petit bois. Nous nous séparons en deux groupes : 4 hommes à droite et 3 en soutien ; Szwiec lance deux grenades sur les servants d'un mortier qui ne nous ont pas vu arriver ; des cris et plus rien : 4 hommes sont morts, le 5ème ne valait pas mieux.

 

  

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 (cliquer sur la carte pour agrandir)

 

 

La retraite

Nous remontons au plus vite pour se mettre à l'abri. Les explosions ont alerté le gros du détachement (allemand) qui ouvre le feu de tous côtés avec du matériel lourd. Nous essayons de rejoindre la route au-dessus de Couhard, le plus souvent à plat ventre, et c'est là que nous retrouvons quelques hommes d' "Ernest" qui sont là pour nous soutenir malgré la perte de quatre hommes, trois blessés grave et un homme légèrement  touché ; dans le bois en file indienne, direction la cascade pour rejoindre le reste de la compagnie, sous la pluie et le froid. Compte-rendu au responsable de ce qui s'est passé dans le cimetière, une estafette arrive en vélo avertissant que le bruit court de l'arrivée de chars, sans savoir si c'est des ennemis ou des Français, repli de tout le monde dans le bois, derrière des stères de bois. Mais quel soulagement quand on entend crier.

 

L'armée

L'armée arrive  et les chars de Demetz sont bien là. Quelle joie malgré la pluie qui nous engourdit les mains et glace le dos détrempé. Nous avons faim et froid après avoir été sérieusement accrochés par l'ennemi dans le bas du cimetière de Couhard. Les hommes nous donnent des biscuits et une goutte de vin, l'officier qui commande le détachement vient aux renseignements, sur la situation… Notre lieutenant donne des précisions sur la situation dans le bas de la ville ("Marc"), précise que les Allemands sont dans les fenêtres des hautes maisons ; à ce moment-là des rafales d'armes lourdes passent justement au-dessus de nos têtes. L'officier reçoit aussi des renseignements par un Piper-Cub qui survole la ville. On nous donne l'ordre de nous mettre à couvert dans le bois derrière les stères de bois, en bordure de la route. Le premier char se met en position, premier coup sur une fenêtre d'une grande bâtisse d'où sont parties les rafales. Les soldats nous donnent des toiles imperméables pour nous protéger de la pluie qui tombe depuis le matin, il est 11 heures du matin, nous attendons les ordres, l'officier nous dit de nous mettre à l'abri de la murette qui longe la route. Ils nous apportent à manger, la discussion s'engage avec eux, d'où ils viennent ; nous on leur dit que nous sommes de la région de Montceau, tous des fils de mineurs. C'est là que nous avons appris que Montceau était libéré. Trois chars se mettent en position et tirent plusieurs obus en direction du cimetière et de la caserne de gendarmerie, où les Allemands sont bien retranchés, armes lourdes, mortiers, canons anti-char, et des mitrailleuses jumelées qui nous font pas mal de dégât en hommes.

 

La seconde attaque, derrière les chars

Les hommes du 2ème Dragons avec les chars, un détachement de légionnaires, des S.A.S nous encadrent pour repartir en avant, regonflés par la force qui nous entoure, nous remontent le moral. A environ 2 heures de l'après-midi, nous nous mettons en route en colonne derrière les chars, les légionnaires d'un côté, nous de l'autre. L'ennemi s'est retranché dans les grandes maisons après avoir fait évacuer les habitants. Dans le bas de Couhard, dans la remise du jardinier, nous tombons sur les corps de sept de nos hommes entassés sur des branches, que les Allemands ont fusillés, mais n'ont pas eu le temps de les incendier. Les hommes sont écœurés par le spectacle qui est devant eux. On progresse de maison en maison lentement. A proximité de la cathédrale, nous sommes bloqués par un feu nourri qui vient du bas de la rue où se trouve la prison. Les rues sont bloquées par des armes lourdes ; les chars entrent en action pour réduire ces armes au silence. Nous nous enfilons un par un par une porte arrachée dans la prison avec l'aide des légionnaires. Les Allemands à la vue de la Légion se rendent ; il y a des cosaques et des Russes, et même quelques Hindous, une cinquantaine, qui sont fait prisonniers. Ca nous motive encore plus. Mais à la descente de la rue, les choses se gâtent… Avant de pouvoir arriver au carrefour, on s'engage dans la grande bataille car l'ennemi ne cède pas d'un pouce. C'est maison par maison qu'il nous faut se battre pour pouvoir avancer, face à une armée en déroute qui recule pied à pied.

 

Les fusillés

C'est au grand séminaire que la découverte d'un carnage féroce, un acharnement sur plus de 25 hommes du régiment, des gars que nous connaissions, abattus. Comme nous, les légionnaires sont outrés du spectacle qui s'offre à nous. C'est à ce moment que l'on nous apprend que les chars se sont repliés faute de carburant.

 

Repli des blindés à la nuit tombante - se battre seuls…

Notre motivation est encore plus forte de venger nos copains ; l'armée se replie pour encercler la ville. Nous sommes restés seuls, presque abandonnés par les nôtres. Notre seule chance, c'est de pouvoir arriver dans la rue au-dessus de l'école militaire. Seulement nous sommes repérés par les guetteurs et un feu nourri nous accueille. Kocik donne l'ordre de nous disperser ; avec mon pourvoyeur, je me mets en position et je fais feu sur l'endroit d'où viennent les tirs. Alors c'est la grande bagarre, nous avons affaire à des guerriers qui ont la rage de ne pas céder ; ils avancent le long des murs en espérant nous prendre par surprise ; alors le deuxième FM ouvre aussi le feu, les Allemands surpris reculent, croyant avoir affaire à l'armée, mais ils reviennent en plus grand nombre, avec encore plus de hargne. Nous sommes pris de deux côtés à la fois ; nous les tenons un moment à distance, c'est à ce moment que dans une fenêtre un homme nous fait signe de rentrer dans la cour pour se mettre à couvert . Il commence à faire de plus en plus sombre, il pleut et il fait froid ; l'ennemi est moins actif , nous avançons tous de quelques mètres pour apercevoir des camions et des chars attelés, prêts à partir dans la nuit. Nous faisons feu de toutes nos armes ;  c'est avec des grenades lancées par les trois hommes qui sont de l'autre côté qu'on met le feu à deux voitures.

 

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- Jan Kocik, mineur du Magny -

 

Sous le feu - mort du lieutenant Kocik, de Szwiec et Warzaska – les blessés…

C'est à ce moment qu'un déluge de feu s'abat sur nous ; les torpilles éclatent de tous côtés ; un mortier – ou un canon anti-char – tire sur nous sans répit. Deux de nos hommes sont touchés : Krol et Janek ; ils se reculent un peu mais ne peuvent plus nous aider. A ce moment deux obus tombent coup sur coup. Le lieutenant crie : "Je suis touché" et s'écroule ; Warszaska et Szwiec ne répondent plus ; Nous ne restons plus que trois, moi, Edmond et Jakiniec. Nous essayons de faire feu, mais avec un déluge de feu de l'ennemi qui nous tire dessus sans arrêt… C'est à ce moment qu'une torpille ou un obus tombe à proximité de nous, nous sommes touchés à notre tour, mon FM n'est plus serviable, la crosse arrachée, et moi qui sens une brûlure à la jambe et au bras gauche. Edmond Maciejewski me dit : "J'ai la jambe arrachée", et puis plus rien. Je me traîne dans sa direction, le feu ayant cessé ; nous ne répondons plus, je suis resté allongé dans le caniveau combien de temps ? Je ne sais pas. Jakiniec me dit : "Je suis à côté d'Edmond mais il ne répond pas". C'est à ce moment-là que des civils courageux viennent dans le noir chercher Edmond, Jakiniec, Krol et Janek. Moi, je suis resté seul ; c'est M. Humbert, en religion frère Paul-Charles, qui me transporte sur son dos à l'école où étaient les femmes de la gendarmerie que les Allemands avaient fait partir pour avoir une vue sur la rue. On me fait un garrot et je suis transporté sur le brancart dans une pièce pour me mettre à l'abri en cas où les Allemands viennent perquisitionner. Ce n'est que le lendemain matin qu'on me transporte sur un char à bras à l'hôpital après que l'ennemi ait quitté la ville durant la nuit en direction de Dijon et Arnay-le-Duc. C'est à l'hosto que je retrouve Edmond et Jakiniec, qui ont été ramassés par le service de la Croix Rouge ; opération et sérum anti-gangrénique sous la surveillance du chirurgien docteur Latouche. Pour nous le combat se termine.

 

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- Le Gal de Lattre de Tassigny décore Edmond Maciejewski (ECPAD) -

 

Décorés par de Lattre - épilogue

Le 22 septembre, au cours d'une cérémonie pleine de dignité et d'émotion d'une population très nombreuse et d'un détachement de la première Armée, le général de Lattre de Tassigny, avec à ses côtés le colonel Demetz, rend hommage à tous les résistants  qui ont contribué à la libération de la ville. L'abbé Trinquet, aumônier au maquis Socrate, reçoit la Légion d'Honneur, Maciejewski la Croix de Guerre avec palme, ainsi que moi-même la Croix de Guerre avec palme aussi, ensuite Brossier du maquis "Serge",  Carnéado de Tarbes et Villacanta du groupe "Schneider", et Saint-Martin d'Igornay…  Un seul regret, le souvenir de tous ceux que nous avons laissés sur le bord du chemin pour la Liberté.

Edmond a été amputé de la cuisse gauche (non, droite)… Moi, le genoux arraché, le bras gauche bien handicapé, je suis resté pendant six mois avant de rentrer à la maison, et un mois après, retour à Autun pour une infection de la jambe, et d'ici on me renvoie à Dôle (Jura) dans un hôpital complémentaire pour une révision de notre état. Je rentre à la maison deux mois après, puis, au mois de juillet, je prends pour épouse celle qui ne m'a pas laissé et qui m'a toujours soutenu moralement. (…) Je resterai encore un certain temps sans pouvoir travailler, puis un jour on me rappellera au bureau pour me proposer un travail que j'acceptai avec joie.

Le 18 mai 1987, je serai décoré de la médaille Militaire et de la médaille des grands blessés

 

 

Signataire : M. Bakowski Simon, porte-drapeau de la section des Combattants Volontaires de la Résistance depuis 1970, toujours présent à toutes les cérémonies patriotiques.

 

 

 

 

Café des Alliés extrait-1.jpg
Un an plus tard, en 1945...

Au 1er rang, agenouillé à gauche le Lt Orlowski, à droite Edmond Maciejewski

 

 

Autres articles sur le sujet :

- Ce qu'il faut savoir sur la bataille d'Autun (en général) :    cliquer ici

- Le rapport d'un combattant de la 1ère compagnie :  cliquer ici

- le rapport du lieutenant Orlowski après la bataille :  cliquer ici

- une page de photos inédites ECPAD : cliquer ici

 

 

 

 

 

 



25/11/2013
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